Auteur/autrice : Aissata Sow

  • L’ Accord Franco-Algérien du 27 décembre 1968

    Par Mey Ksantini et Aïssata Sow

    En mars 1962, après la douloureuse guerre d’indépendance de l’Algérie, l’ancienne puissance coloniale signe les accords d’Évian avec le Front de libération nationale (FLN). Ce traité, qui marque la fin de la guerre, accorde alors des droits spécifiques aux Algériens, notamment un principe qui suscitera de nombreuses controverses par la suite : la libre circulation entre les deux rives de la Méditerranée pour tout Algérien muni d’une carte d’identité.

    Les pieds-noirs sont les premiers à traverser la mer, suivis par les travailleurs algériens. Pour contingenter ces arrivées, tout en tenant compte «du volume de l’immigration traditionnelle algérienne en France» et accorder un statut dérogatoire aux Algériens sur le droit commun, le président de Gaulle se rapproche du ministre algérien des Affaires étrangères de l’époque : Abdelaziz Bouteflika.

    A Alger, le 27 décembre 1968, alors que la France a besoin de bras pour faire tourner son économie en pleines Trente Glorieuses, les deux parties signent un nouvel accord visant à contenir la libre circulation, qui crée un statut unique pour les ressortissants algériens en matière de circulation, de séjour et d’emploi, et qui facilite l’installation des travailleurs algériens en France, ainsi que celle de leur famille.

    Abdelaziz Bouteflika, alors ministre des Affaires étrangères de l’Algérie, en visite au palais de l’Élysée le 25 juillet 1968 – AP/ archives

    L’accord fixe à 35 000 le nombre de travailleurs algériens autorisés à entrer en France chaque année. Ces derniers, avant l’admission, ont un droit de séjour de neuf mois pour chercher un emploi. Par ailleurs, s’ils peuvent justifier d’un travail, ils peuvent bénéficier, notamment, d’une carte de résidence de cinq ans. Les Algériens n’ont, depuis, pas de carte de séjour en France mais des “certificats de résidence pour Algérien” (CRA). L’installation des familles maghrébines en général, et algériennes en particulier, n’est envisagée que comme le résultat de la politique de regroupement familial qui aurait été mise en place en 1976 à la suite de la fermeture de l’immigration de travail.

    Pendant les Trente Glorieuses, entre 1950 et 1974, la France fait largement appel à des travailleurs étrangers pour répondre aux besoins en main-d’œuvre de certains secteurs. Les Trente Glorieuses sont présentées comme l’apogée de la figure du travailleur immigré isolé, et les familles absentes du tableau. L’édification des foyers participe à l’assignation des étrangers à un statut de célibataire de fait. Ces structures visent une amélioration des conditions de confort, mais leurs résidents sont soumis à une discipline paternaliste et incités à rester des « travailleurs provisoires », mobiles, qui ne seront donc pas rejoints par leur famille.

    Une autre forme d’habitat est particulièrement associée à l’immigration algérienne : les bidonvilles. La difficulté à se loger des travailleurs étrangers et issus des colonies, dans un contexte de fortes discriminations et de crise du logement, a en effet conduit, au début des années 1950, au développement de cette forme d’habitat auto-construit. Ces bidonvilles ont constitué un mode de logement minoritaire des Algériens, mais ils ont accueilli à la fois des hommes isolés et des familles. Initialement réservées aux « isolés », ces baraques sont en effet peu à peu devenues un mode d’habitat accueillant les familles qui fuyaient les violences et les camps de regroupement algériens pendant la guerre d’indépendance. Par la suite, d’autres les rejoignent. Les habitants des bidonvilles étrangers ou issus des colonies ne sont pas des « asociaux », selon les termes de l’époque, mais des familles d’ouvriers en usine ou de petits employés. 

    © Collection la contemporaine Bibliothèque, Archives, Musée des mondes contemporains, Fonds Monique Hervo, HER 08N / A12A.

    La question de l’immigration, apparue sur la scène publique avec le problème des bidonvilles, est réellement devenue visible à partir de 1968 avec la participation d’ouvriers immigrés à des mouvements de grève dans les usines. Par la suite, la parole publique des immigrés s’est déplacée du terrain économique vers des revendications spécifiques à propos du logement et des papiers.

    Dans l’histoire des « années 1968 », l’immigration apparaît progressivement comme un « problème politique » et un enjeu. L’activité de groupes d’immigrés, d’associations de solidarité avec les « immigrés », des organisations d’extrême gauche, après 1968, mais aussi de nombreuses études de sciences sociales, contribuent à la visibilité de l’immigration et à la politisation du débat. La question est apparue sur la scène publique en 1964, avec le problème des bidonvilles dénoncé largement dans la presse, ce qui avait provoqué un débat à l’Assemblée nationale et l’adoption d’une loi sur la résorption des bidonvilles.

    Depuis Mai 68, les bidonvilles sont des lieux d’agitation pour l’extrême gauche contestataire, qui sonne la révolte contre la condition faite aux travailleurs immigrés par les exploiteurs capitalistes, et les municipalités communistes. Le sujet devient brûlant et participe du scandale qui explose le 1er janvier 1970, après la mort de cinq travailleurs africains chez un marchand de sommeil d’Aubervilliers.

    Ainsi à Nanterre, la plupart des chefs de famille sont des ouvriers non qualifiés qui travaillent régulièrement, mais on trouve aussi des éboueurs titulaires de la préfecture de la Seine ou un employé d’état-civil de la mairie de Nanterre, ainsi que les commerçants qui fournissent les habitants. Si le séjour en bidonville ne saurait être présenté comme un choix, il présente un certain nombre d’avantages par rapport à d’autres types d’habitat insalubre du fait de la concentration d’Algériens (solidarité du voisinage, commerces spécialisés).

    Ces baraques constituent un habitat de transition très provisoire pour des familles en attente d’autres solutions ou confrontées à des vicissitudes familiales . Pour d’autres, il s’agit d’espaces d’habitation à part entière, où cohabitent parfois trois générations. Certaines familles y restent en espérant être relogées en HLM dans la même commune lors d’opérations de résorption.

    Parmi les travailleurs qui vivent au sein de ces habitats, on retrouve des chibanis. Le terme “chibanis” renvoie au terme “anciens” ou encore “cheveux blancs” en arabe. Ce terme qualifie les personnes d’origine maghrébine venues travailler en France. Nombre d’entre eux vivent au sein de foyers de travailleurs construits dans le but d’accueillir cette population majoritairement constituée d’hommes seuls. Arrivés dans leur jeunesse, ces hommes sont finalement restés vivre en France et sont aujourd’hui à la retraite. Il y aurait près de 230 000 chibanis vivant en France car ils sont nombreux à avoir emménager dans le pays pour des raisons économiques.

    Les chibanis ont souvent occupé des emplois aux conditions difficiles (chantiers, usines…), des conditions qui ont ainsi entraîné des pathologies et des effets sur le long terme sur la santé des Chibanis. Par ailleurs, ils font face à d’autres difficultés : le flicage des allocations. Ils sont les cibles d’une vérification constante par la CAF, la Carsat ou encore la CPAM par exemple. C’est dans ces situations que l’administration française peut représenter un autre facteur de précarité pour ces retraités. Le plus souvent, ils perçoivent de faibles revenus dépassant difficilement quelques centaines d’euros. Par ailleurs, lorsqu’ils perçoivent des aides, ce n’est pas sans condition. En effet, s’ils restent “trop longtemps” dans leur pays d’origine, ils peuvent se voir retirer certaines aides qu’ils perçoivent (allocation de solidarité par exemple). 

    Photographie de Chibanis réunis dans un bar à paris – Nicolas Wietrich

    Quiz de compréhension : Accords Franco-Algériens de 1968.