Auteur/autrice : Sarah Dermouche

  • La figure de la femme dans les publicités en 1968

    DERMOUCHE Sarah, DORANTE Schmide, RATSIMBAZAFY Iloniaina


    Contexte

    Avant 1968, la publicité en France se limitait principalement à des affiches publicitaires et aux annonces dans la presse écrite. Le 1er octobre 1968 marque cependant un changement significatif, avec la diffusion du tout premier spot publicitaire individuel à la télévision française consacré au fromage Boursin. Ce spot, rythmé par le célèbre slogan : « Du Boursin ! Du Boursin ! », ouvre la voie à de nombreuses autres marques, telles que Régilait ou Schneider, qui investissent à leur tour le petit écran.
    La publicité ne se contente pas de promouvoir des produits, elle reflète également les normes et les valeurs de la société à une époque donnée. Dès ses débuts à la télévision, la publicité a notamment ciblé les femmes, perçues comme les principales responsables de la consommation familiale.
    Parfois représentée comme une femme au foyer attentive au bien-être de sa famille, notamment dans les publicités pour l’électroménager, parfois mise en scène sur le capot d’une voiture, incarnant la séduction et l’élégance, la publicité joue un rôle central dans la diffusion des représentations sociales. Elle façonne et propage des idéaux féminins, mais reflète également les évolutions et les mutations des rôles attribués aux femmes dans la société.


    La Femme au foyer

    Dans un premier temps, la femme est représentée et considérée comme une femme au foyer. Responsable des tâches ménagères, de la cuisine et des enfants, elle se retrouve enfermée dans une routine quotidienne pesante.

    Kronenbourg par 6, Paris Match, 15 juin 1968

    Prendre soin de son mari

    La femme peut être représentée comme inférieure à l’homme dans son couple et rend service à ce dernier. En s’occupant correctement de son mari, elle répond aux attentes de la société et rempli son rôle dicté par la société et alimenté par les supports de représentation et ici en particulier la publicité.

    Fab détergent, 1968 (origine : États-Unis)

    Prendre soin de sa maison et de sa famille

    Mais aussi, elle peut être mère de famille et dans ce cas, elle se positionne comme la personne en charge de s’occuper de son mari et de ses enfants. C’est cette image d’une femme ménagère qui est mise en avant par des marques d’électroménager et de produits ménagers. Ceux-ci tirent profit d’une figure féminine heureuse d’utiliser des produits efficaces qui facilitent ses tâches quotidiennes.


    La Femme objet

    Dans un second temps, dans les publicités de véhicules à la fin des années 60, les voitures ne se limitent pas à être juste un objet de consommation : elles deviennent une image d’un style de vie désirable, souvent incarné par la femme. Celle-ci est représentée comme une figure décorative, séduisante au service de la marque qui la met en avant.

    Chevrolet Impala, 1968
    Ford Mustang, 1968
    Citroën, 1968

    Dans cette publicité, la femme est mise en valeur par la caméra comme un prolongement esthétique du véhicule qui est passive. La femme séduisante ne conduit pas : elle habille la scène, elle valorise le véhicule par sa présence. On peut supposer que l’on ne vend non seulement la voiture, mais aussi le fantasme d’un homme possédant cette voiture, et la femme qui l’accompagne. 

    La publicité de Mustang suit le même principe : elle présente une femme qui attire le regard tout autant que la voiture. Les gestes de la femme, le zoom de la caméra vers elle à certains moments sont utilisés comme des outils publicitaires, renforçant l’idée que la voiture est un objet désiré tout comme la femme. 

    Les publicités de « Citroën » renforcent un peu plus l’aventure entre couple où le storytelling devient plus narratif. La femme dans ces deux publicités est constamment associée à la sphère privée et affective. Elle n’est plus utilisée comme un argument publicitaire du produit, mais une partenaire séduisante, sensible, souvent soumise aux imprévus ou à l’humour du récit. On propose une aventure à deux, une vision de confort conjugal au bord de ces véhicules que l’on cherche à promouvoir.

    Ces publicités sont représentées de manière très symbolique : la voiture devient un acteur social, de virilité en introduisant l’homme dans le récit, alors que la femme est représentée comme un élément narratif et esthétique. Elle est non seulement un sujet de publicité, mais aussi un objet de publicité qui servira à attirer vers les produits et elle-même.


    La Femme séduisante

    À côté de ces précédents types de représentations, la femme est aussi considérée comme une consommatrice de produits cosmétiques et textiles, censés la rendre plus désirable et séduisante. Cette quête constante de glamour met en scène une femme qui prend soin d’elle, qui se veut séductrice, et qui attire le regard des hommes.

    “Tels Quels de Dim”, 1968 (France)

    Clean Makeup, 1968 (États-Unis)

    Pepsi Soft Drink, 1968 (États-Unis)

    La sexualisation de la figure féminine se caractérise ici par des plans très serrés sur certaines parties du corps. Les jambes nues et longilignes pour Dim, le visage pour les produits Clean Makeup, ou encore la silhouette fine et élancée pour le Pepsi Diet. Ainsi, ces publicités transposent le regard masculin projeté sur une femme idéalisée selon leurs critères : belle au naturel, sans excès, mais toujours apprêtée.

    La femme devient alors une figure qui attire le regard masculin et cherche à séduire, mais toujours avec une certaine discrétion. Ces publicités conditionnent et prescrivent la façon dont les femmes doivent se comporter, se présenter pour plaire au regard masculin, enfermant encore une fois la femme dans un rôle précis et dicté.


    Post-68, une libération progressive des femmes ?

    L’année 1968 marque un tournant majeur dans l’histoire sociale et politique de la France. Elle est synonyme de profonds bouleversements, à commencer par des avancées concrètes telles qu’une augmentation significative des salaires et la reconnaissance des sections syndicales dans les entreprises. Cette période voit également la naissance d’un nouveau système universitaire, dans un climat de crise politique marqué par la dissolution de l’Assemblée nationale, suivie de la démission du général de Gaulle. Mai 68 ne s’arrête pas à un simple soulèvement : il ouvre la voie à d’autres formes de protestation et de mobilisation dans les années suivantes.

    Interview Florence Montreynaud, 2018

    Cependant, ce mouvement de contestation n’a pas véritablement remis en cause les rapports de genre. On associe volontiers 1968 à une forme de libération sexuelle, dans la continuité de la légalisation de la pilule contraceptive en 1967. Pourtant, les femmes restent en retrait dans les espaces de parole et de décision, malgré des revendications bien présentes. L’historienne Florence Montreynaud qualifie d’ailleurs cette révolte de « révolte d’hommes », soulignant ainsi l’absence de remise en cause réelle de la domination masculine et de la société patriarcale au sein du mouvement.

    L’accent mis sur la persistance d’une société patriarcale, caractéristique de l’époque, se manifeste notamment à travers les représentations des femmes dans la publicité de l’époque.
    Pourtant, l’année 1968 constitue un moment charnière pour les luttes féminines. Bien qu’elles soient restées en marge du mouvement, les revendications des femmes ont trouvé un écho dans les années 1970, nourries par l’élan contestataire de 68. Cette dynamique a notamment favorisé l’émergence du Mouvement de libération des femmes (MLF), qui a porté des combats majeurs, tels que le droit à l’avortement, aujourd’hui inscrit dans la Constitution, l’adoption d’une loi affirmant le principe de l’égalité salariale entre les sexes, ainsi que d’autres réformes importantes en matière de droits des femmes.

    Cette évolution a pu se refléter dans certaines publicités télévisées à travers une illustration progressiste du rôle des hommes et des femmes dans un foyer.  

    Catalogue Moulinex électroménager, 1968

    Moulinex i-Companion Touch XL, 2021


    L’exemple de Contrex

    Cependant, l’enquête d’Arcom sur 2 310 publicités diffusées entre octobre 2021 et mai 2022  montre encore des  progrès à faire sur la répartition femmes-hommes au sein des différentes catégories de produits, toujours porteuse de stéréotypes de genre dans les publicités. 

    Entre autres, des marques comme Contrex s’inscrivent toujours dans une longue tradition de prescriptions sociales imposées aux femmes. Spécialisée dans l’eau minérale en bouteille, Contrex a historiquement ciblé un public féminin, à travers un packaging et une narration visuelle spécifiquement pensés pour elles dans ses campagnes publicitaires.

    Si à l’origine les bouteilles Contrex étaient présentées comme une alternative santé, encourageant les femmes à prendre soin d’elles, sous-entendant qu’il fallait être mince, ce discours n’a pas totalement disparu. Il persiste de manière plus subtile, comme dans la publicité de 2014, où des femmes relèvent des défis physiques pour activer un dispositif lumineux dévoilant le corps d’un homme, plus, elles pédalent sur leur vélo.

    Cette mise en scène peut sembler valoriser une femme décomplexée et active, mais elle s’inscrit aussi dans un renforcement des injonctions liées au physique.